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"Réparer notre rapport à la Vie" | IIe dim. de Carême | P. Sébastien Dehorter | 05 03 2023

La Vie était la lumière des hommes. La lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas saisie (Jn 1,4-5). Celui qui me suit, dit Jésus, aura la lumière de la Vie (Jn 8,12). Les lectures de ce dimanche nous invitent à réparer notre rapport à la vie.


Pour bien comprendre l’appel d’Abraham (Abram), il faut d’abord se rappeler qu’au moment où la voix de Dieu retentit à ses oreilles, il est, de bien des manières, enfermé dans les ténèbres et dans la mort. La mort de son frère Harân ; le comportement quasi incestueux de son autre frère Nahor qui a pris pour épouse la fille de ce frère décédé ; l’image écrasante de son père puisque son nom, Abram, signifie « [mon] père est grand » ; la stérilité de sa femme ; l’échec d’un voyage qui n’a pas abouti : partis de Ur en Chaldée pour aller vers Canaan, ils se sont arrêtés en mi-chemin dans une ville dont le nom est précisément Harân, celui du frère décédé. Et c’est là que son père mourut à son tour.


Or, la mort et la souffrance, lorsqu’elles nous pressent ainsi de toutes parts, ne font qu’engendrer la mort en nous-mêmes. Ainsi, la paresse (ou procrastination) – la mort du bien que l’on n’a pas fait – ne traduit en général qu’un manque de raisons de vivre, un manque de lumière. La critique sous toutes ses formes, depuis la plainte jusqu’à la médisance, c’est la mort de l’autre en nous, qui nous prive du bien qu’il pourrait nous apporter. Le mensonge, qui est la mort de la vérité, cherche à masquer tout cela mais sans y parvenir. La honte, honte de soi ou honte des autres : la mort de sa propre image et de sa propre histoire.


Et voilà que Dieu se révèle comme celui qui appelle. Deux mots retentissent aux oreilles du patriarche. Le premier : Va. « Va vers toi-même » comme on traduit parfois, « vas-y vraiment. Lève-toi, pars et quitte cette situation de mort. Va, vis et deviens. Va vers la Vie ! ». Et c’est véritablement une grâce d’entendre cette parole, une parole qui secoue, certes, mais une parole au service de la vie. Le deuxième mot est : tu seras une bénédiction - sois bénédiction. Au seuil de la grande histoire du salut, la voix divine dit en une formule brève l’essentiel de la vocation d’un homme en ce monde : être une bénédiction. Lorsque nous disons de quelqu’un « qu’il a été une bénédiction pour nous », cela signifie qu’il a été une source de bien. « Oui, là où tu te trouves, apporte le bien aux autres, fais-le rayonner autour de toi, fais grandir la vie et répands la joie ». Y a-t-il une autre manière d’envisager l’existence qui vaille vraiment ? Ai-je été une bénédiction pour mes frères et sœurs ?


Mais pour être bénédiction, il faut passer de la préoccupation de soi au don de soi, et c’est cela qui est le plus difficile. Car la bénédiction, c’est le bien qui se diffuse et non pas celui qu’on serre contre son cœur jusqu’à l’étouffement. Jésus l’a enseigné clairement à ses disciples, précisément six jours avant l’épisode de sa Transfiguration : si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même… et qu’il me suive.


Ce qui est étonnant dans l’histoire d’Abram c’est qu’il ne lui a fallu qu’une seule parole pour qu’il se mette en route. Tandis que la mort enferme, la vie, elle, ouvre toujours de nouveaux horizons.


Que devient la Transfiguration dans cette perspective ? Nous pouvons la lire comme un double approfondissement : de la promesse et de l’appel. Avec l’évangile, en effet, on passe d’une seule parole à une vision : la vision du corps du Christ transfiguré, métamorphosé, comme éclairé de l’intérieur. Les trois hommes choisis par Jésus pour être témoins de la scène savent désormais que cet homme qu’ils ont commencé de suivre, cet homme qui les attire en même temps qu’il les déstabilise, cet homme qui vient de leur annoncer un destin de souffrance, de rejet, de mort et de résurrection, eh bien, cette homme porte la Lumière de la Vie au fond de son être. Une lumière qui n’est pas de ce monde – c’est la grâce incréée de l’Esprit Saint – mais qui en même temps se révèle en cohérence avec toute l’histoire d’Israël ici représentée par Moïse et par Élie. Cette vision a ainsi valeur de promesse pour eux : voilà où vous conduira la suite de Jésus Christ.


À Abraham, figé au village de Harân, il avait été dit : va ; aux disciples, emmenés par Jésus sur la montagne, retentit cette même voix, mais avec des mots différents : écoutez-le, ce qui signifie : « obéissez-lui, suivez-le, faites-lui confiance ». L’écoute obéissante de la parole du Christ est toujours une mise en route, un exode de soi, un arrachement à la mort qui veut nous retenir, une avancée dans la vie, dans la vie qui se donne et qui bénit.

L’Eucharistie, qui est comme la « promesse de l’aube », est aussi un viatique qui invite à se mettre en route pour verser un peu de baume sur les blessures du monde.

En célébrant l’Eucharistie de ce jour, nous recevrons comme les disciples, mais sous une autre forme, le gage de notre immortalité dans la suite du Christ. En se donnant à nous, c’est comme s’il nous disait : « reçois ta vie, reçois ton avenir ! » L’Eucharistie est une promesse et un appel - l’appel à réparer notre rapport à la vie en détachant de nous tous ces liens et comportements mortifères, l’appel à être une bénédiction pour tous. En nous disant : « je t’aime et je me donne à toi », Jésus nous invite à entrer dans notre avenir et dans notre éternité. L’Eucharistie, qui est comme la « promesse de l’aube », est aussi un viatique qui invite à se mettre en route pour verser un peu de baume sur les blessures du monde. Si nous sommes nourris de son intimité – de son visage et de sa voix – ce n’est pas pour nous y complaire mais pour ouvrir nos bras et nos cœurs et répandre à profusion les bienfaits reçus.

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