On trouve au début du premier livre de Samuel ce verset un peu étrange : « Le Seigneur fait mourir et vivre ; il mène à l’abîme et en ramène. » (1 Samuel 2,6 — Cantique d’Anne)
Curieuse façon de faire ! Dieu a-t-il fait l’homme comme un jouet en lego qu’on démonte et reconstruit à volonté ?
Pourtant Dieu agit vraiment de la sorte. Quelques exemples : les trois personnages qu’évoquent la liturgie de la Parole de ce matin, Isaïe, Simon — bientôt appelé Pierre —, et l’apôtre Paul.
Isaïe a eu ce privilège d’apercevoir le Seigneur dans sa gloire, siégeant sur un trône élevé. Il entend les acclamations de la cour des séraphins. La scène qui se découvre à ses yeux est aussi magnifique que terrifiante. Isaïe saisit tout à la fois la beauté incomparable de Dieu et la saleté de son péché. Il est devant la plénitude de l’abîme de Dieu et il fait également l’expérience d’être presque mort : « Malheur à moi ! Je suis perdu, je suis un homme aux lèvres impures. »
En même temps, ce qui retient Isaïe d’être submergé par la conscience de son impureté, c’est le vol d’un Séraphin qui purifie ses lèvres avec une braise ardente.
Ainsi, Dieu « fait mourir » Isaïe dans l’expérience presque insupportable de son péché ; il le « fait revivre » par l’expérience tout aussi inattendue de sa miséricorde.
L’expérience de Simon est assez similaire à celle du prophète. La pêche abondante qu’il a faite en obéissant à la parole de Jésus a levé un voile sur son identité profonde : sa divinité. Cela a suffit à Simon pour découvrir sa condition de pécheur. Il en est tout effrayé. C’est trop pour lui ; et il demande à Jésus : « Éloigne-toi de moi… »
Mais il est ramené de cet abîme par la confiance que Jésus restaure en lui et par une promesse : « Sois sans crainte. Désormais, ce sont des hommes que tu prendras. »
La vie de Paul, quant à elle, témoigne que la « plongée dans l’abîme » est une expérience permanente (constamment il se rappelle qu’il a persécuté l’Église de Dieu)… en même temps que celle de la miséricorde. Cette double expérience a guéri le pharisien qu’il était avant sa conversion. Depuis celle-ci, il a cessé de mettre sa gloire en lui-même.
L’apôtre a une grande mission, certes, mais il la remplit avec ce sentiment d’être tout petit — d’être « un avorton », comme il le dit lui-même.
« Faire mourir et vivre » est une façon d’agir de Dieu qui semble se répéter, une constance de son action. Remarquez qu’Il agit ainsi à l’égard de tous ceux qu’Il envoie en mission. C’est de cette manière qu’il forme ses apôtres.
Frères et sœurs, il est indispensable que ceux-ci passent par le creuset d’une telle expérience ! Non seulement parce qu’ainsi leur vie ne sera jamais banale, mais surtout parce qu’ils auront à annoncer le repentir à toutes les nations (Lc 24,47). Au nom du Christ, dira saint Paul, laissez-vous réconcilier avec Dieu ! (2 Co 5,20)
Comment cet appel pourrait-il être crédible si l’apôtre n’est pas lui-même persuadé de tout ce qu’il doit à la miséricorde ?
Puissions-nous, nous-mêmes, si nous passons par un tel creuset, célébrer le Seigneur par cet autre verset de l’Ancien Testament : La miséricorde du Seigneur, à jamais je la chanterai ! (Ps 88,2)
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