
J’ai eu la chance de passer de nombreuses années à l’UCLouvain. J’ai beaucoup appris et je rends grâce à Dieu de ne pas avoir tout oublié. Cependant, il y a deux mystères qui me sont restés sans réponse. Tout d’abord, ce que mon professeur de physique nucléaire pouvait bien dire à sa femme et ses enfants quand il rentrait le soir à la maison. Ensuite, pourquoi, pour la fête patronale de l’université, le passage d’Évangile que nous entendons est cette scène touchante de la joie de deux vieillards. Et pourquoi, dans une institution qui valorise la recherche et la découverte et alors que nous avons soif de nouveauté, la liturgie nous offre la même chose.
Au premier abord, c’est vrai, on ne voit pas très bien en quoi le passage que nous venons d’entendre parle à l’intelligence humaine. Pourtant, les deux mystères que je viens d’évoquer ne sont pas sans lien entre eux. Le chercheur qui rentre chez lui, le vieillard Siméon et la prophétesse Anne doivent relever un même défi : celui d’être capable de découvrir un visage, de rencontrer une personne. Cette rencontre, cette découverte, c’est précisément l’expérience qui « teste », qui met à l’épreuve notre humanité.
Permettez-moi de souligner cela… Nous baignons dans un monde dont les phénomènes nous fascinent. Nous les scrutons, nous tâchons de mettre en évidence leur régularité et les liens qu’ils tissent entre eux. Or Dieu choisit, dans l’univers des phénomènes, le visage — le lieu de la rencontre des personnes — pour se dévoiler et nous faire entrer dans le mystère de sa propre vie. Plus encore, c’est par le visage qu’il interpelle notre conscience et notre liberté, pour solliciter et susciter notre intériorité.
C’est cela qui rend la révélation de Dieu digne d’intérêt pour nous. Elle ne nous apprend pas que nous avons une âme ; elle nous apprend que la joie et le bonheur de cette âme sont dans la rencontre, dans la découverte de Dieu et, par conséquent, des autres.
On peut se demander s’il n’y a pas d’autres chemins qui nous permettent d’enrichir à ce point notre humanité, je veux dire des voies qui se passeraient de la révélation. Ce n’est peut-être pas la place pour répondre à cette question maintenant.
En tout cas, ce que la révélation nous apprend de nous-mêmes — à savoir que l’homme se grandit dans la rencontre — cela peut s’oublier très facilement… Qu’ont fait les grandes idéologies du XXe siècle ? Qu’ont-elles en commun, sinon d’avoir oublié de considérer les personnes singulières avec leur histoire propre ? Cet oubli s’est produit dans un monde qui négligeait déjà de féconder sa pensée et sa culture de l’écoute de la Parole de Dieu.
Frères et sœurs, nous ne manquerons jamais de trouver dans cette écoute de la Parole divine ce qui nous permettra de résister à l’érosion de la vision de l’homme. Quand je parle de cette érosion, je veux dire cette façon d’approcher l’humanité en négligeant le fait qu’elle est constituée d’êtres uniques et irremplaçables, d’êtres conscients et libres, d’êtres encore qui sont traversés par un mystère : des êtres qui saisissent le fait inouï de leur existence mais qui n’en savent pas la raison ; des êtres enfin qui ont besoin de maîtres pour leur indiquer dans quelle direction engager leur liberté pour faire de l’existence qu’ils reçoivent quelque chose de bien et de consistant.
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