La veille de sa passion, Jésus a partagé avec ses amis un repas qui leur était familier. A force de le vivre chaque année depuis leur enfance, le déroulement, les rites et les paroles en étaient bien connus. Ils y faisaient mémoire de l’identité de leur peuple : le Dieu unique et éternel s’était révélé à eux et les avait choisis pour en faire un peuple libéré de l’esclavage et témoin de son amour. Ce soir, nous faisons mémoire de ce même repas. Sauf que ce n’est pas le même repas. En effet, celui que Jésus et ses disciples ont vécu ce jeudi-là fut différent de tous les précédents, pour deux raisons : d’abord, Jésus y inséra des gestes et des paroles totalement inédits, et ensuite ce repas fut le dernier et en cela il eut une portée toute particulière.
La tenue de l'esclave
« Au cours du repas, Jésus se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples. » Prenons la peine de nous étonner. On aurait pu s'attendre, de la part du Fils de Dieu, à ce que, au moment où il s’apprêtait à quitter cette terre, il insiste sur la nécessité de le reconnaître, de le vénérer. On aurait pu s'attendre à ce qu'il veuille léguer un enseignement ou des rites. Et voilà que pour manifester l'essentiel de son message, il prend la tenue du serviteur, et même celle de l’esclave. Pour surprenant qu’il soit, on doit reconnaître que ce geste s’inscrit dans la continuité de toute sa vie : il n’a cessé de proclamer ce qu’il appelait le Royaume des cieux, c’est-à-dire un monde d’amour, de fraternité, de soin des faibles et des exclus. Il aura fallu la Dernière Cène pour qu’on ne puisse plus échapper à cette vérité. Car nous sommes au point culminant de la mission de Jésus. Tous les actes qu'il a posés, toutes les paroles qu'il a prononcées, y compris au sujet de Dieu, sont orientés vers ce moment. Alors qu'il s'apprête à aller jusqu'au bout de son chemin, Jésus veut manifester le sens de sa mission : comme il l'a dit un jour, « je suis venu non pas pour être servi, mais pour servir. »
Et quand Jésus a repris son vêtement et sa place, il ajoute : « Vous m'appelez maître et Seigneur et vous dites bien car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, c'est pour vous donner un exemple, afin que vous fassiez de même. » Désormais donc, l'essentiel de la vie chrétienne devra consister à être nous-mêmes des serviteurs. Tout devra nous conduire à cela.
Frère de Pierre et de Judas
Mais ce n'est pas tout. Car Jésus ne va pas s'en tenir à ce qu'on appelle communément « rendre service ». Il va pousser cette attitude jusqu'à un sommet qui peut donner le vertige. Imaginons-nous la scène. Jésus, le maître du repas, vient de quitter son vêtement et, prenant le rôle de l’esclave, il s'arrête auprès de chacun de ses apôtres. Nous pouvons nous représenter la stupéfaction, ou l'émotion, ou l'admiration de chacun d’eux au moment où Jésus se présente devant lui. Alors viens l'instant où Jésus arrive aux pieds de Judas. Et il lave les pieds de celui qui va le trahir. Il se fait son serviteur. Il donne sa vie pour lui. Je repense à cette phrase de Christian de Chergé, moine de Tibhirine, assassiné en 1996 : « le Verbe s'est fait frère. Il s'est fait le frère et de Caïn et d'Abel, et de Pierre et de Judas. Après que Judas soit sorti, Jésus ajoutera : « comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres. » Vu la proximité entre cette phrase et le geste du lavement des pieds, on comprend la portée de ce : « comme je vous ai aimés ».
Frères et Sœurs, je vous propose deux pistes de méditation suite à cette contemplation de ce que fit Jésus au soit du Jeudi Saint.
Baptisés, disciples du Christ, notre identité consiste à lui ressembler. En mettant le service au sommet de sa mission, il le place au centre de nos vies.
Que le service soit le cœur, le sens de notre vie, de nos engagements, de notre métier, de nos études, de nos relations, de nos expériences de faiblesse.
En lavant les pieds de Judas, Jésus nous emmène sur un chemin vertigineux. C’est un total décentrement de soi, un pur amour, un don suprême à l’autre. Ne pensons pas que nous serons vraiment serviteurs sans l’aide de notre Seigneur. On n’aime pas jusque là par ses propres forces. C’est pourquoi le chrétien est tellement attaché à Jésus.
Prions-le, contemplons-le, adorons-le, écoutons-le, demandons-lui la grâce de le suivre.
Eric Mattheeuws
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